Kalango
CLUB DES DETENDUS DU PARE-BATTAGE
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Eric
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« le: 04 Octobre 2023 07:14:51 » |
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Et pourtant, ce n’était pas écrit. Ou plutôt si, car j’avais bien pensé organiser sa contrebande début août sur le banc de Bûcherons, mais chicoufs et tempête hivernale d’août se sont alliés pour reporter ce projet sine die.
Ça a commencé par un petit coup d’oeil sur windy, onglet vagues : on y voit du cyan pâle qui envahit le littoral de la Vendée mercredi et jeudi, et compte même y rester jusque vendredi quand le bleu foncé reviendra par le large en fin de journée. Confirmation sur Météo France qui promet une mer peu agitée devenant belle sous un flux de NE tournant N précisément de 6 à 7 noeuds. Ça y est, Neptune et Éole, qui nous avaient un peu boudés cet été, ont finalement décidé de nous offrir quelques heures de bonheur.
Ce sera donc Yeu.
Ma mousse préférée adore Yeu. Ce qu’elle aime moins c’est y aller. Remonter la houle pendant trois heures, entendre le bateau taper sur les pavés mal équarris du Pont d’Yeu ou ailleurs, non, ce n’est pas pour elle. « La mer va être vraiment cool aujourd’hui… – celle-là tu me l’as déjà faite, et je me souviens encore de la façon dont on tapait dans les vagues sur le Pont d’Yeu… (pas faux !) – non mais là le vent est vraiment faible, et bien orienté (pas faux non plus mais compte tenu de mon crédit…)! – de toute façon je suis mal fichue (pas faux) tu n’as qu’à y aller avec Antoine (le fiston le plus grand qui passe la semaine du 15 août avec nous)…
J’ai bien cru devoir abandonner le projet, car le fiston en question me dit : « sans moi, j’ai un chapitre de bouquin à lire, et j’ai une conf call sur le sujet vendredi matin ». Ok, je comprends bien qu’un chapitre sur les différentes façons d’extraire ou de soigner les dents d’un cheval ce ne soit pas du Guy-des-Cars, mais bon, ça peut se faire aussi dans le confort 5 étoiles de la cabine de Kalango.
Encore quelques minutes de négociation pour transformer un aller-retour dans la journée en une escale nocturne à Port-Joinville, et c’est décidé, départ le lendemain, mercredi à 9 heures. À la question perfide de ma femme « départ de la plage où départ de la maison ? », je choisis de gagner 10 minutes de sommeil en prenant l’option départ de la maison…
Voilà, mercredi 9 h 35, Kalanguinho (littéralement petit Kalango, soit petit lézard en indien tupi-guarani moderne — l’annexe) est arrimé à l’arrière du quad. L’aventure peut commencer ! 9 h 45, plage. On croise les voisins qui rentrent de leur pêche. L’annexe a l’eau, le moteur de l’annexe démarre au premier coup, on embarque, j’embraye la marche avant, et ça cale. Trois fois il me fera le coup, mais nous arriverons finalement à la bouée. Là mon mousse est rôdé à la manœuvre, c’est mieux pour éviter les prises de tête, notamment dans l’ancre : il décroche le mousqueton de l’anneau d’étrave, le passe dans la boucle de l’amarre de l’annexe, puis on se déhale le long du bateau, et d’un bond qu’on aimerait leste, on passe à bord de Kalango. Il ne reste plus qu’à brancher les batteries, retirer le taud de cockpit que les mouettes n’ont pas trop squatté, vérifier les fonds, les vannes et les hublots, l’armement, les documents… « Allô chérie, tu peux vérifier si la pochette bleue ne traîne pas dans le tiroir, par hasard ? ». Re-calages du moteur, arrivée plage, les voisins croisés tout à l’heure remontant leur pêche se sont ensablés - c’est pas un truc qui m’arriverait ça, mais j’ai quand même prévu les 4 roues motrices sur le quad au cas où je remonterais 3 tonnes de poissons. En attendant ma mousse préférée, je les aide à soulager le quad en prenant bien soin de me placer sur le côté de la roue et non derrière, et après deux ou trois essais où mon voisin s’est offert un peeling en restant derrière la roue, le quad est finalement sur le presque dur. C’est le moment choisi par ma mousse préférée pour arriver sur la plage en me faisant gentiment remarquer qu’elle m’attend depuis près de 5 minutes sur le parking, garée en vrac. Si elle croit que c’est en parlant ainsi que les voisins nous donneront du poisson : d’ailleurs, ils ont tout gardé.
Bref, quelques redémarrages plus tard, c’est au tour de Kalango de faire parler la poudre et ses 400 chevaux (et pas moins de 16 000 dents quand on y pense). Il est 10 heures 46. Pour un départ prévu à 9 heures 10, on est pile dans les temps. Pas de stress, c’est les vacances…. Au détail près qu’on est plus qu’à une heure de la marée basse et que les trucs simples peuvent subitement devenir compliqués… Mais embases relevées et l’oeil sur le sondeur, Kalango sort tranquillement du labyrinthe que dessinent à fleur d’eau bouchots et bancs de sable.
À 10h55, la vitesse s’établit autour de 25 noeuds, et nous garderons cette vitesse jusqu’aux Sables, passant successivement au loin de la pointe du Grouin du Cou, de Jard, de la plage du Veillon, de Bourgenay, côte que je n’ai plus besoin de vous présenter. Nous entrons finalement dans le mythique chenal des Sables 50 minutes plus tard, feu à main allumé, sabre et champagne en mains (non, on n’a pas fait ça). J’avais prévu de ravitailler Kalango, mais vu l’heure, c’est aussi l’équipage qu’il faut nourrir. Le plein effectué, la capitainerie m’envoie sur le ponton des Imocas, et c’est derrière l’un d’entre eux, un bleu, que j’amarre Kalango.
Au bout du ponton, je passe faire un coucou amical à notre ami Gilles qui est au boulot et qui m’avoue ne plus avoir trop le temps de nous envoyer des photos de dauphins. Il espère néanmoins pouvoir passer ce soir à Port-Joinville. Nous voilà partis à la recherche d’une table bonne et rapide. Une entrecôte et quelques frites plus tard, chemin inverse et à 14 heures, nous descendons le chenal et glissons, cette fois-ci, doucement vers le large.
Nous retrouvons une mer très sage. Tellement sage qu’elle m’invite à prendre le raccourci au milieu des cailloux dès la sortie du chenal (ouh,… j’ai honte d’emprunter cette sale coutume aux locaux) pour rejoindre directement la cardinale sud de la Petite Barge, avant de prendre la route directe au 307 jusque l’île d’Yeu. C’est la fête : 26, 27 noeuds, pas une éclaboussure ! L’île est visible d’assez loin aujourd’hui et dispense de tenir le cap avec rigueur. Il suffit de viser à droite de l’île. Là, la côte est parallèle à notre cap et nous conduira naturellement à Port-Joinville. Bref, les vraies vacances du navigateur, quoi ! La fête se prolonge jusqu’au pont d’Yeu, endroit où les fonds remontent brutalement à moins de 10 mètres et où la houle atlantique se rejoint en se croisant après avoir contourné l’île par le nord et par le sud, garantissant un passage chaotique à nos petites embarcations. À 27 noeuds, sans surprise, ça tape, alors qu’à 22 noeuds, aujourd’hui, ça passe, sauf une ou deux fois où je me suis laissé surprendre par des vagues assassines… C’est donc encore un peu la fête car d’habitude, même à 15 noeuds ça tape dur ici. Finalement, guidé par toutes ces voiles qui convergent vers Port-Joinville, j’entre dans les passes à 15 heures 08.
C’est toujours le même vrai plaisir de se retrouver ici. Cette lumière du large qui entre dans les passes, avec les voûtes sur bâbord, la digue à tribord et derrière, la ville et tous ces passants qui se promènent sur les quais; tous ces feux et ces phares d’un blanc éclatant le jour et qui la nuit ancrent l’île sur l’océan; et puis, cette zone d’évitage, juste avant d’entrer dans le bassin de plaisance, où se croisent plaisanciers, pêcheurs, cargos et ferries dans une chorégraphie rythmée par le son profond des sifflets qui annoncent la manœuvre. C’est un port qui vit, un lieu authentique plein d’humanité, une sorte de purgatoire, entre la beauté de mer et la beauté de l’île, où, qu’on soit marin, plaisancier ou touriste, et c’est encore plus vrai pour le pêcheur, on passe un bref moment à expier ses fautes, moi à mettre les pare-bats et à préparer les amarres. Car Yeu, oui, c’est un autre paradis.
On y vient une fois, on y revient toujours.
La capitainerie dispose d’un savoir-faire hérité sans aucun doute des conserveries d’antan. Les femmes des marins mettaient avec soin et méthode beaucoup de sardines dans une toute petite boîte. Aujourd’hui, les bateaux ont remplacé les sardines, et les pontons les boîtes. C’est toujours une femme qui, aujourd’hui, œuvre à la radio, assistée de quelques annexes rotomoulée aux couleurs rendues pastels par le soleil, pour entasser méthodiquement tous ces plaisanciers.
J’échappe à la boîte déjà bien pleine du ponton A. Celle-là, c’est la boîte magique, dans laquelle on entre sans savoir quand on en sortira le lendemain matin. C’est vrai qu’en y entassant une cinquantaine de bateaux, il y en a toujours au moins un qui n’est pas prêt quand les autres veulent bouger…
Je suis placé à l’extrémité du ponton C à couple de deux autres vedettes - des Antares, derrière un massif Montecarlo 42 qui me paraît aussi large que nous trois réunis…
Je suis accueilli avec gentillesse par nos voisins qui ont à peine fini de s’amarrer à leur voisin. Par politesse, pour leur laisser le temps de souffler, mais surtout subtilement trahi par un petit courant qui me déporte, je fais une seconde présentation qui sera la bonne. Avec leur aide efficace, les amarres et les pare-bats sont vite réglés. Et puisqu’il y a plus de bateaux qu’il n’y a de prises sur le quai, je décide de ne pas perdre de temps avec le branchement électrique, si bien que nous sommes rapidement partis pour l’activité essentielle du marin qui n’a pas vu la terre depuis plus d’une heure : aller boire un coup sur le port.
Mais avant, je passe à la capitainerie régler l’escale et obtenir les codes confidentiels d’accès aux douches et au compacteur d’ordures ménagères (étonnamment, c’est le même. Il serait utile de s’interroger sur le sens de cette coïncidence). Je donne donc le nom de mon bateau, et l’écho donne un « Bonjour Eric ! ». Je suis un peu surpris, car comme tous ces gens célèbres qu’on peut croiser sur l’île, je viens ici aussi pour fuir la notoriété, et d’autant plus que contrairement à eux, je ne suis pas célèbre.
C’est donc Pierre, alias Captain’Mousse qui se présente à moi. Je le reconnais : je l’ai vu tout à l’heure en arrivant, il est à couple du bateau à couple du mien. Bref, si vous avez bien suivi, nous sommes à couple dans un couple à trois. Et je fais connaissance de Claudine, avec qui, visiblement, il est aussi en couple. Pierre et Claudine hésitaient entre partir vers le sud ou vers le nord (en même temps, l’est de Bourgenay en bateau, c’est compliqué, et l’ouest, ça peut être long). Et c’est mon petit message déposé sur la shoutbox juste avant de partir qui l’a poussé jusque Port-Joinville. Nous prenons rendez-vous pour plus tard et partons chacun de notre côté…
Un petit passage à la coopérative pour remplacer un déclencheur hydrostatique bientôt périmé, et direction le bar de l’Escadrille qui me sert de QG lors de mes escales sur l’île. Situé un peu avant la station de sauvetage tout au bout des quais, de la terrasse, on a une vue imprenable sur les passes et le bassin d’évitage. Et l’intérieur est tapissé d’hélices d’avion…
La marine est avant tout une activité de tradition, et bien qu’il ne soit que bientôt presque l’heure de l’apéro, je prends comme j’en ai l’habitude ici un planteur, ambré. Oui, la vie est belle !
Passent Pierre et Claudine qui jouent les touristes sur le quai. Plus raisonnables que moi, ils trouvent l’heure de l’apéro un peu avancée pour partager un verre. Alors on se donne rendez-vous au bateau à un horaire plus civilisé.
L’autre tradition incontournable ici, c’est l’achat d’un stock de saumon et de thon fumés préparés dans la boucanerie située juste derrière le port. Un peu de rillettes de thon et porc, autre tuerie locale, une bouteille de rosé bien frais. Il ne manque plus pour le festin que le pain à la boulangerie en face. Ah ! Inutile de demander une baguette pas trop cuite. De la boulangerie il ne reste que des poutres calcinées… Deux ans auparavant, c’était la boucanerie qui avait brûlé. Alors je cours vite acheter des toasts à l ‘épicerie avant qu’elle ne brûle… Voilà, on a les munitions.
Retour sur le ponton C. Tout en marchant, je regarde l’Amel 50 qui est amarré au bout du ponton un peu avant notre couple. Superbes lignes. Et dans ma contemplation, je m’arrête. Deux pas en arrière, et je donne un coup d’œil aux autocollants collés sur l’extrémité du bordé d’un bateau amarré cul à quai. Je ne vais pas vous les énumérer tous, il y en a autant que les décorations d’un apparatchik sous Brejnev. Il me semble connaître ce bateau. Si je vous dis qu’il manque, par modestie, l’autocollant du Michelin et celui du Gault-et-Millaut, vous aurez compris que je suis devant Almaco V, la meilleure table d’hôte de la façade atlantique (certains à une époque ont cru bon dire que c’était aussi le (ou la) meilleure gîte). Béa, que je ne connais pas en dehors des photos-reportages prend l’air sur la terrasse : présentations rapides faites, elle me dit avoir croisé Pierre et Claudine, et rendez-vous est pris pour 19 heures au bout du ponton…
Je laisse le fiston à sa littérature équine au frais dans la cabine, et 19 heures finiront par arriver…
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